mardi 17 juin 2014

10 600 poses de Tri-X développées avec planches contact ou un boîtier Leica Monochrome™?

Que préférez-vous, car c'est à peu près ce que vous pouvez vous acheter pour le prix d'un boîtier Leica Monochrome™?

Cette comparaison entre le Leica M4 et le Monochrome™ fait réfléchir. Des éléments pertinents ont été soulevés concernant l'écrêtage soudain dans les hautes lumières et la gradation. La pérennité de certains appareils et la désuétude intrinsèque de l'autre. L'investissement global des deux solutions.

J'aimerais poursuivre la discussion dans une autre direction. Demandez à un photographe professionnel quel est le pourcentage de ses revenus qu'il investit en appareils photo et je parle ici uniquement en boîtiers et pas en objectifs. Quel ratio de ses revenus est en promotion, pré-prod, etc.?
Faire de la photo professionnelle, que ce soit de la publicité ou du reportage d'auteur est principalement constitué de démarches et de prises de vues. Un reportage d'auteur durera souvent plusieurs semaines, frais de voyages, rencontres, etc. Que l'on soit en pellicule ou en numérique, ce sont les mêmes frais.

Quel était le but de Leica en créant le Monochrome™? Un appareil superlatif noir et blanc numérique? Quel est le but des acheteurs en achetant un Monochrome™? Qu'espèrent-ils et pourquoi dépensent-ils une telle somme? Ne savent-ils pas additionner des chiffres et constater qu'un appareil argentique serait meilleur marché? J'aimerais bien avoir ou essayer un Monochrome™ en passant. J'ai entendu des choses extraordinaires à propos de cet appareil. Absence de démosaïquage qui augmente la netteté. Absence de filtres de séparation qui augmente la sensibilité. Absence de filtre antimoiré qui augmente la netteté. Une excellente latitude et sensibilité. Le rêve de tous « leicaiste » théoriquement.

autoportrait
Si l'on pousse un peu plus loin la discussion financière de l'auteur, le meilleur ratio prix/performance serait probablement un Pentax K1000 avec un objectif Takumar 55mm f1,8 utilisé à f8. Les performances optiques de la Takumar à f8 ne sont pas si loin de la Summicron et de toute façon leur pouvoir résolvant sont supérieur à celui du Tri-X. Personnellement, j'opterais pour une Olympus OM2 avec une Zuiko 50 f1,4 à f8 chargée d'Ilford HP5 Plus développé dans de l'Acufine. Effet compensateur dans les hautes lumières et bon détail dans les ombres tout en maintenant une « acuité » du grain. Chacun ses goûts.

J'ai calculé qu'au prix que le Leica Monochrome™ se vend au Canada (8900 $+tx) moins le prix d'un boîtier Leica M3 ou M4 usagé, on peut acheter et faire développer/imprimer une planche contact pour l'équivalent de ~10 600 cadres de Tri-X. C'est quand même quelques photos. Le prix d'un rouleau de 36 poses développé et une planche contact revient à 32 $ tx inc.

Je trouve très intéressante et pertinente, dans l'article de Leicaphillia, la dénonciation de la très courte vie intrinsèque des appareils numériques. La possibilité de remplacer un circuit dédié d'un Leica Monochrome™ dans 20 ans, j'ai mes doutes, si Leica existe toujours. Il ne faut pas oublier que la compagnie Leitz (Leica) a été proche de la faillite à plusieurs reprises et qu'ils ont été sujets à beaucoup de remaniements administratifs dans les années 70. Leur avenir n'est pas garanti. Ce n'est pas un géant comme Canon qui fabrique photocopieurs et autres bidules électroniques grand public. Par contre, c'est une compagnie beaucoup plus vieille qui a traversé vents et tempêtes.

Un Leica Monochrome™ n'est pas un appareil pour faire de la pub même si on pourrait l'utiliser à cette fin. Faire du reportage, car c'est de reportages dont on parle ici, sous-entends avoir à composer avec toutes sortes de situations et aujourd'hui, peut-on exclure le marché potentiel de la couleur lors d'un reportage?....

J'aurais tendance à dire que le fond de la question est relié au style du photographe. Si vous êtes du genre à prendre des centaines, voir des milliers de photos pour rendre compte d'un sujet, la différence entre le numérique et la pellicule devient significative et même le prix d'un Leica Monochrome peut devenir économique. Il faut quand même développer cette pellicule et au moins la numériser pour la regarder. Ce n'est pas vrai que l'on peut juger de la qualité d'une image en négatif. Sa mise au point oui, mais son impact... On me dira, pourquoi prendre tant d'images? En pellicule il y avait des photographes qui étaient des gros consommateurs de pellicules. Pensons à Lee Friedlander par exemple qui, selon la légende, pouvait avoir des centaines de rouleaux non développés des mois après une exploration visuelle. C'est une démarche, comme le grand format est une démarche, comme le noir et blanc est une démarche, comme le studio est une démarche.

Si vous m'envoyez à l'étranger et que vous me donnez un mois pour parler des pêcheurs d'Ísafjörður en Icelande, que le résultat final peut être en noir et blanc si je veux, films ou numérique? Dans mon cas, la question ne se pose pas. La supériorité des ISO en numérique et la capacité à valider ses erreurs, car même les pros font des erreurs, supplante les avantages de la pellicule. Si je veux être furtif à la Leica, j'utiliserai un Fuji X-E2 avec l'excellente 35 mm f1,4 et peut être un convertisseur Leica pour une 50 Summicron pour les portraits et une 18mm comme grand-angulaire. J'exposerais en Raw + jpg avec un « picture style » noir et blanc filtre jaune afin de prévisualiser le look noir et blanc que je vise.

Mes conclusions sont que ça dépend de la démarche et du style photographique. Quelqu'un comme moi qui a besoin de prendre beaucoup de clichés pour découvrir ce qu'il cherche ou pour découvrir après coup ce qu'il se passait, requiert la souplesse et le faible coût du numérique. Quelqu'un de beaucoup plus prémédité et « constructeur d'image » pourra peut-être produire la même qualité d'image et sous certains aspects peut-être même des meilleures en argentique à coûts moindres. Restera que pour diffuser son produit final, il lui faudra bien numériser le résultat que ce soit un tirage ou un transparent.

Des fois dans mes rêves les plus fous, j'aimerais que la technologie soit figée et que le progrès cesse. J'ai l'impression que les caméras sont assez bonnes et j'aimerais qu'elles durent et que l'on arrête d'avoir des préoccupations technologiques et que l'on parle plus de photos. Que l'on se soit pas inquiet de la pérennité de notre matériel. Il n'y a pas si longtemps, photographier avec un Pentax Spotmatic™ avec une Takumar™ se comparait très bien avec photographier avec un Nikon™ F équipé d'une Nikkor™ 50 f1,4. En fait, personne ne pouvait voir la différence sur le tirage final si ce n'est que la forme du bokeh en arrière-plan et encore.

Je finirai par dire ce que je dis à tous mes étudiants: une photo moche en argentique, c'est aussi moche qu'une photo moche en numérique. J'espère qu'ils comprennent qu'une photo doit premièrement être bonne avant d'être un médium en soi à moins que l'on fasse de la photographie uniquement pour les photographes.

Aucun commentaire: